Le métier de mulquinier

Les archives de Valenciennes disposent de la CHARTE DU CORPS DES MULQUINIERS de 1478 (rouleau de velin en mauvais état conservé sous la côte H294)

Pendant plusieurs siècles le tissage a été l'activité principale du village de Quiévy. Ces artisans ruraux passaient entre 10 et 14 heures par jour à pousser la navette de leur outil de travail. Les petites pièces mouchoirs, torchons, étaient souvent le travail des enfants et des femmes, les fabrications des draps, linons et baptistes, plus pénibles, étaient réservés aux hommes. Dans les Frandres ou le nord de la France ces artisans se sont appelés successivement aux cours des siècles "Parmentiers, Mesquiniers, Mulquiniers, Tisseurs ".

C'est dans le tissage que les habitants de Quiévy, comme ceux en général des autres villages environnants, ont trouvé non seulement une occupation secondaire lorsque les travaux des champs ne les retenaient pas mais aussi et surtout une profession lucrative, plus rémunératrice certes, et moins dure que la culture des champs, lorsque, par suite des circonstances de famille ou de situation, ils devaient y consacrer tout leur temps et toute leur intelligente activité. Même à notre époque de machinisme, on peut imaginer et réaliser toutes les professions qui devaient venir en aide au tisseur pour qu'il put de son métier, de son « étile », dans la cave obscure et humide où il lançait la navette, faire sortir après de longs jours de travail assidus et pénibles, la fine toile de batiste ou de linon destinée à l'exportation, ou la grossière étoffe de chanvre qui servirait aux usages journaliers du ménage, ou les draps de laine destinés à faire les « paletots » et les « brayes ». La matière première était trouvée dans le pays, soit par la toison des « bestes blanches », soit par les récoltes des champs.

Livrée au rouisseur, puis au teillieur, si c'était du lin ou du chanvre, les fils en étaient rachetés par le « filaqué », « marchand de filets », qui les livrait aux fileuses. Celles-ci, par leurs doigts agiles et leurs rouets actifs, les cariots, transformaient cette matière en fils souples, fins ou gros, qui devaient constituer la trame et la chaîne formée par l'ourdisseur qui serviraient au tisseur à faire son étoffe.

La toile serait portée au maître mulquinier qui la vérifierait, l'estampillerait de sa marque et la livrerait aux négociants de Cambrai ou de Valenciennes, parmi lesquels il comptait des amis.

Les mulquiniers de Quiévy, s'ils ne constituaient pas à eux seuls une corporation, (aux abords de la Révolution, on cite un « valet de mulquinier » dans un procès du XVIIe siècle), étaient cependant organisés en confrérie, et avaient pour patronne Sainte Véronique, « Sainte Vérone », comme disent encore les tisseurs actuels.

Le mot mulquinier n'apparaît dans les textes qu'à la fin du XVIe siècle. Un peu plus tôt est dit « parmentier », « parmeriterie » ou « passementerie » un tissu fait de crins et de chanvre, ou de lin. Il est à remarquer que dans le pays Picard le mot mulquinier n'est plus compris ; un érudit a même traduit ce mot, il y a quelques années, par « conducteur de mules ». Il semble que la plus belle période de prospérité des mulquiniers fut la seconde moitié du XVIIIe siècle. Avant la réunion du Cambrésis à la France, la mulquinerie du Cambrésis envoyait ses produits bien loin, presque partout en Europe, mais, par sa position même de neutralité, rencontrait des entraves, quand les frontières de France se fermaient, ou quand les Hollandais, jaloux de protéger leur industrie, empêchaient le commerce des toilettes avec leur pays. On appelait ce négoce commerce de toilettes, et couramment entre eux, les tisseurs (encore actuellement) parlent de leur « commerce », et non de leur industrie.

Après la Révolution, le commerce connut certaines éclipses, dont pâtissaient surtout les ouvriers qui ne faisaient que travailler sur leur métier. Mais, pour les contremaîtres (les facteurs de négociants de Cambrai ou de Valenciennes) et les patrons du village (les fabricants qui se chargeaient eux-mêmes du négoce, à la fois de l'achat des matières premières et de la vente du tissu), la mulquinerie apporta une aisance bien plus appréciable que la culture seule aurait pu leur donner. Un vieux cultivateur qui exploitait une ferme déjà importante en faisait la remarque, en parlant d'un proche parent qui était à la fois fabricant et cultivateur : il disait en faisant un jeu de mots que le patois dé Quiévy peut permettre : « mon beau-frère a deux « cariots », mais celui de Mulquinier lui rapporte plus que celui de censier ».

Dans la première moitié du siècle dernier, on voit apparaître dans les actes, timidement, quelques noms de tisseur en coton mais la mulquinerie de Quiévy resta essentiellement le travail du lin. Les Mulquiniers avaient le privilège, avant la guerre de 1914, de fournir de baptiste la cour impériale de Russie.

La désaffection des ouvriers tisseurs pour un labeur qui leur semblait peu rémunérateur pour eux-mêmes, les poussa à donner leurs bras pour un travail plus lucratif dans les usines voisines, alors qu'un tissage mécanique leur offrait sur place une occupation continue. Mais, après la guerre de 1940, des métiers mécaniques ont été acquis par certains qui .préféraient avec raison le travail à domicile rendu plus facile par la machine. Ils sont ainsi venus rejoindre, dans la confrérie de Sainte Vérone, les derniers ouvriers fidèles à « l'étile », mais qui ont cependant abandonné le tissage du fil de main trop absorbant et trop pénible. Néanmoins début 1900 apparaît le terme de tulliste qui va remplacer l'activité principale des mulquiniers dans la région de Quiévy.

A suivre sur le site de Jacques Bougenière et sur celui de Quiévy.